II) ASPECT HISTORIQUE

Forme musicale d'origine africaine, le gwoka est apparu en Guadeloupe au 17ème siècle avec l'esclavage. Sa naissance résulte d'un processus de créolisation par adaptation au milieu environnant et assimilation de quelques éléments européens. Forme d'expression artistique complète, le gwoka comprend des chants, des danses, et la musique instrumentale symbolisée par le tambour "KA".
Mais si l'utilisation du tambour est séculaire en Guadeloupe, il ne portait pas le nom de Ka à l'origine. Comment était-il alors désigné? Ecoutons à ce propos le père Labat (célèbre chroniqueur et homme politique de l'époque) dans son ouvrage "Voyage aux Iles d'Amériques" :

"pour donner la cadence à cette danse, ils (les esclaves) se servent de deux tambours faits de deux troncs d'arbres creusés, d'inégales grosseurs. Un bout est ouvert, l'autre est couvert d'une peau de brebis ou de chèvre sans poils, grattée comme du parchemin. Le plus grand de ces tambours qu'ils appellent simplement le grand tambour, peut avoir trois à quatre pieds de long sur quinze à seize pouces de diamètre. Le petit qu'on nomme bamboula est à peu près de la même longueur, sur huit à neuf pouces de diamètre".

Voilà donc ce à quoi ressemblaient les tambours utilisés dans la Guadeloupe de l'époque, tel qu'ils ont été ramenés d'Afrique ou confectionnés sur place selon un modèle africain. Par la suite ils deviendront des KA guadeloupéens.
Pourtant, l'origine des mots KA et GWOKA demeure encore une énigme. C'est plus d'un siècle plus tard nous dit Alex URI que nous trouverons le premier témoignage faisant état du mot KA, et il cite : "L'habile instrumentaliste, bel tanbouyé, est à califourchon sur son KA…" (Lafcadio hearn two years in the French west indies).

Dans cet intervalle donc, le "bamboula" a pris le nom de KA et le grand tambour est devenu "boula". (soit dit en passant, "boula" signifie battre le tambour en langue kikongo). Le "bamboula" lui deviendra "makè"

Aujourd'hui deux explications majeures prédominent :

- pour les partisans de la francisation le mot "ka" est utilisé pour désigner le tambour parce qu'il se fabrique à partir d'un quart de tonneau ou quart (se prononçant "ka" en créole).
- Les autres africanistes convaincus eux soutiennent que ce mot "ka" répandu d'ailleurs dans la Caraïbe (Haïti, Iles Vierges, Cuba), à la Nouvelle Orléans est aussi présent en Afrique, notamment en Angola où il représente également un instrument de percussion.
A l'équation gwoka = gros quart, ils opposent le diptyque gwoka = N'GOKA (terme africain) prétextant qu'en Guadeloupe beaucoup de personnes disent effectivement " goka " au lieu de "gwoka "

La question qui se pose est donc la suivante : Pourquoi a-t-on en Guadeloupe abandonné les termes de " bamboula " et de grand tambour pour adopter le nom de KA ? Question très importante quand on sait que dans la traduction du livre des Morts de l'Ancienne Egypte (nous dit encore URI), le mot KA se rapporte à l'âme. On ne peut s'empêcher de penser à Cheik Anta Diop ; n'est ce pas ?

Mais qu'en est-il de l'expression musicale elle-même ? Ecoutons encore le père Labat décrivant une scène de musique et de danse :

"celui qui touche le grand tambour bat avec mesure et posément, mais celui qui touche le bamboula bat le plus vite qu'il peut et sans presque garder la mesure. Et comme le son qu'il rend est beaucoup moindre que celui du grand tambour et plus aigu, il ne sert qu'à faire du bruit, sans marquer la cadence, ni les mouvements des danseurs" (no comment). Les danseurs (eux) sont disposés sur deux lignes, les uns devant les autres, les hommes d'un coté et les femmes de l'autre".

Pour nous guadeloupéen cette description du jeu du bamboula est pleine de sens notamment. Donc à partir des musiques et danses extrêmement riches et diverses de leur pays d'origines, particulièrement la Guinée Occidentale, et le Congo, les esclaves ont élaboré un art nouveau le "gwoka" dont les caractéristiques essentielles (la primauté du rythme, la forme répétitive, l'improvisation, l'humour des textes, les mouvements physiques intégrés à l'expression musicale, les syncopes sur les temps faibles, les variations de hauteurs de son du tambour, la présence du coda, le dialogue entre chanteur soliste et chœur etc) rappelle beaucoup les musiques africaines.

Ce sont les " nèg mawon " et les nègres des plantations qui ont créé les bases de notre culture et ont élaboré notre musique. Elle s'est d'abord appelé " Kalenda " en souvenir de la musique de la Guinée. Ce n'est que beaucoup plus tard que le " kalenda " ayant été profondément transformé à partir des nouvelles réalités sociales économiques et culturelles prit le nom de " gwoka " pour devenir guadeloupéen.

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